Les jeunes et la violence

Compte rendu de l'activité du 7 décembre 2005

Conférencier-invité : M. Moncef Guitouni
Psychosociologue, Directeur,
Centre de Psychologie préventive et de développement humain et Président,
Fédération internationale pour l’éducation des parents (FIEP)

Cette conférence-débat, organisée par la Société de recherche en orientation humaine, avait pour objectifs :

• D’apporter un éclairage sur les motifs de la violence chez les jeunes et de poser en toile de fond la question : la violence constitue-elle aujourd’hui une réponse à un mode de vie ou est-elle devenue une partie intégrante d’un mode de vie?
• De dégager des pistes de solutions pour les parents, les éducateurs et les intervenants pour mieux comprendre le phénomène et prévenir ces effets dévastateurs sur notre société.

M. Guitouni a commencé son allocution en précisant que l’acte de violence s’apparente à un acte irréfléchi, proche du primitif. Contrairement à quelques écoles de pensée qui considèrent que certaines personnes puissent avoir des prédispositions génétiques à la délinquance, il s’est attardé à démontrer que l’absence de balises et de modèles est davantage susceptible d’engendrer la violence chez le jeune.

Afin de mieux comprendre le phénomène, il convient de circonscrire certaines des raisons qui poussent les jeunes à être violents. D’une part, il faut pour ce faire reconnaître que les structures sociales établies et la normalité qui y est associée peuvent provoquer la violence, notamment si elles deviennent un vecteur d’exclusion des jeunes du projet social. Cette situation augmente leur sentiment de rejet, d’injustice et de frustration. Ainsi, apparaît deux clans : le clan des jeunes et celui des adultes.
Pour se faire justice face aux adultes et afin de s’imposer, les jeunes intègrent la violence et la rébellion dans leur comportement. La violence dans cette perspective n’est donc pas uniquement l’expression d’un sentiment de mal être, mais aussi du rejet, voire de la négation, et de la trahison causées par les attitudes des adultes.

Dans le même ordre d’idées, M. Guitouni expose brièvement l’enquête qu’il a menée dans les années 1980 sur la violence chez jeunes. Cette enquête avait mis en évidence quatre variables importantes expliquant le phénomène de la violence chez les jeunes à savoir :

1. la permissivité des parents : les parents se sentent coupables quand leurs enfants ne répondent pas à leurs aspirations. Ce sentiment de culpabilité les mène à être plus permissifs. Dans ce contexte, le jeune sait très bien que plus il fait des crises, plus il attire l’attention et plus ses parents s’empressent de répondre à ses besoins, voire caprices.
2. le laxisme des autorités : notamment celui des tribunaux dans leurs jugements et le pardon rapide de certains gestes.
3. la perte du sens de l’éducation : à l’école comme dans la famille, la notion de citoyenneté est délaissée voire même dévalorisée.
4. la non culpabilité du geste commis : le geste posé se fait sans regret.

Ainsi afin de bien comprendre les raisons de la violence, il est utile de récapituler le contexte dans lequel on vit :

En plus des quatre variables ci-mentionnées;

• La négation et la trahison des adultes à l’égard des jeunes;
• L’exclusion des jeunes du projet social;
• L’indépendance et la liberté des jeunes dans le choix de leur chemin avec l’absence totale de balises et de modèles qui leur permet de développer une identité forte;
• l’existence de groupes multiples dans la société qui est caractérisée par l’individualisme, l’absence d’une justice sociale, la non-conformité au droit et les conflits sociaux.

S’ajoute à ce contexte le processus du développement de l’ego du jeune qui n’est pas nécessairement appuyé par le développement de compétences, de connaissance, de capacités et de renforcement identitaire. Cela a pour effet d’éduquer des êtres humains ayant une très haute estime de soi, mais qui n’est pas accompagnée par une qualité. Le recours à la violence pour s’imposer devient alors un symptôme de faiblesse dans une illusion de force qui s’exprime avec une charge émotionnelle déséquilibrée. L’instinct de survie sous-jacent à cette dynamique donne lieu à une nouvelle culture, celle de l’héroïsme et de la loi du plus fort. Ainsi, pour s’imposer dans un tel contexte, le jeune se manifeste avec la violence pour prouver sa raison d’être.

L’éclairage apporté par M. Guitouni quant aux motifs de la violence permet de postuler que la violence n’est pas le fruit du hasard et qu’elle peut être atténuée par des mesures de prévention car elle s’avère bien souvent une forme de manifestation identitaire issue d’un processus d’éducation et développement qu’il y aurait lieu de calibrer. Même si la violence a toujours existé dans la société, elle est maintenant devenue la norme chez plusieurs jeunes. Cela est d’autant plus alarmant que les manifestations de violence sont présentes sous différentes formes dans la vie quotidienne.

Afin de contrer la propagation du phénomène de la violence chez les jeunes et dans notre société, M. Guitouni propose un ensemble de recommandations axé sur une approche préventive. Ainsi, il conviendrait que :

- la société développe une conscience et une responsabilité sociale (mais sommes-nous prêts à remettre en question nos acquis?). Autrement dit, il faut travailler tous ensemble pour rebâtir la société, une société responsable, une société d’équilibre de soi et ce, par la création d’un projet social où les adultes s’assument et s’impliquent à part entière. Ce projet doit réunir les parents, les enseignants et les intervenants afin de réfléchir sur une approche nouvelle axée sur la prévention.
- les jeunes comprennent que le terrain ne leur appartient pas à eux seuls et qu’ils doivent respecter les limites et les balises sociales.
- les médias retournent à leur mission première, à savoir celle d’aider la population à comprendre la société dans laquelle elle évolue et ce, dans le but d’apporter un soutien à la famille et à l’école quant au développement et à l’épanouissement des jeunes. L’orientation des médias doit prendre un virage pour privilégier la dimension citoyenne à celle de la consommation.
- les médias cessent de véhiculer une pensée unique.
- les parents et les éducateurs soient sensibilisés à cette nouvelle dynamique et participent aux comités de programmation des médias.
- l’éducation à la citoyenneté et la notion de famille soient valorisées chez les jeunes.
- il faut redonner un sens à la notion d’éducation afin qu’elle s’accompagne de l’affirmation de droits et de responsabilités envers soi et envers la société. Dans cette optique, il faut apprendre aux jeunes à être disciplinés, nobles et respectueux à l’égard de l’autre tout en les associant dans le projet social afin d’éviter qu’ils se sentent négligés et abandonnés à leur sort.
- Enfin, il faut faire en sorte qu’un effort d’intégration des nouveaux citoyens issus de l’immigration soit engagé non seulement de la part des autorités, mais également de l’ensemble de la population pour désamorcer les facteurs potentiels d’exclusion.

Le texte intégral de la Conférence de Moncef Guitouni paraîtra dans un prochain numéro de la revue Psychologie préventive. Pour vous abonner, consulter notre site : sroh.org

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P. Luc Dupont, Président
Hédia El Ourabi, Coordonnatrice